Pour le Dzogchen Ponlop Rinpoché, maître tibétain atypique : être bouddhiste au XXIe siècle, c’est d’abord être un rebelle.
Dzogchen Ponlop Rinpoché : Les rinpoché ont, en général, dès leur naissance un destin tout tracé. Né en Inde, ordonné moine à neuf ans, élevé dans un monastère, le mien me destinait à assurer les devoirs liés à ma charge tout en profitant des avantages liés à ma fonction. Mais, en grandissant, il m’a semblé plus juste d’explorer la pertinence de ma tradition à l’aune de la modernité, et de remettre en question mon rôle et la manière dont est transmis le bouddhisme au XXIe siècle. Il y a tellement d’idées fausses véhiculées à son propos. Je ne me situe donc pas comme un rinpoché, mais comme un enseignant du bouddhisme, toujours en apprentissage.
Quels sont les préceptes du bouddhisme qui vous semblent essentiels ?
L’amour, la bienveillance et la sagesse. Ces principes permettent de dépasser nos insuffisances humaines. Nous pouvons tous apprendre à ouvrir notre esprit et à en finir avec nos attentes vaines et illusoires. La sagesse enseigne à mettre en perspective nos pensées, nos émotions, nos croyances. Cette forme de questionnement est créatrice. Dans un contexte de crises économiques et existentielles comme celles que nous connaissons actuellement, nous devons, plus que jamais, rester curieux, en éveil, et ouvrir notre coeur à l’inconnu qui se présente. Cela, quelles que soient les circonstances.
Vous dites que, quand la souffrance est intolérable, elle peut être à l’origine d’une absolue remise en question de nos pensées…
Quand tout se passe bien, nous ne remettons pas en cause les relations que nous entretenons avec les autres. En revanche, dès que quelque chose cloche, nous commençons à douter de leur pertinence. Cela signifie que nous n’acceptons de modifier notre point de vue que lorsque nous souffrons. Le bouddhisme n’empêche pas de souffrir quand on le pratique, il nous pousse, au contraire, à nous confronter à la réalité de la souffrance, qui est indissociable de l’existence. La nier ne sert à rien. C’est ce qu’enseigne le bouddhisme : à l’accepter et à se remettre en question pour transformer le type de relation que nous entretenons avec elle. Pour cela, il montre comment mettre de la distance entre la douleur et nous en utilisant la raison. Comment éprouver un sentiment de bonté vis-à-vis de soi et de toutes les personnes concernées par la situation qui pose problème. C’est un changement radical d’attitude qui n’est ni fataliste ni masochiste, puisque ce comportement vise à ne plus subir la douleur, à ne plus s’identifier à elle. Cela s’apprend. C’est ce que j’essaye de transmettre.
La méditation est à la mode en Occident. Qu’en pensez-vous ?
En se démocratisant, le bouddhisme s’est aseptisé. En Occident, il est souvent associé à une thérapie, et non plus à une spiritualité. Ce qui est une hérésie pour les Asiatiques. Cela dit, la méditation présente de nombreux aspects et permet d’acquérir une meilleure connaissance de soi, qui aide à aller mieux, à être moins stressé et moins angoissé.
Quel est le sens de la vie, selon vous ?
D’un point de vue bouddhiste, la vie n’a ni sens ni objectif. Je sais bien que cette réponse, abrupte, risque de choquer vos lecteurs, mais, pour moi, elle est évidente et pragmatique. Elle prend en compte la réalité de l’impermanence, le fait que rien n’existe en soi, que rien ne dure, que tout change sans cesse. L’accepter m’autorise à me montrer lucide et m’empêche d’adhérer, une fois pour toutes, à des concepts et à des idées préconçues. Si nous considérons que nous naissons pour suivre des objectifs précis, nous sommes emprisonnés dans des schémas, des directions. C’est contraignant, sclérosant. Il est préférable de créer les buts que nous nous fixons au fur et à mesure que nous évoluons. Nous possédons tous la liberté de le faire. Le savoir nous encourage à devenir autonomes, à nous déconditionner de notre éducation, de nos peurs, de nos habitudes. Cela demande du courage, de faire preuve de discernement et de patience. Mais procéder ainsi, c’est vivre en cohérence avec la loi de l’impermanence. Tout bouge constamment. Le sens que nous donnons aux choses aussi.
Votre définition du bonheur ?
Nous courons tous après, mais c’est quelque chose qui demeure très mystérieux à mes yeux. Trop souvent, notre conception de ce que nous nommons, communément, le bonheur dépend de nos états mentaux, et de nos conditions extérieures et intérieures. Le bonheur authentique naît et réside dans notre esprit. C’est un sentiment de contentement, de plénitude, qui se découvre en questionnant sans cesse, avec enthousiasme et curiosité, ce que nous expérimentons. La plupart des gens ne sont pas heureux, car ils veulent posséder le bonheur, alors qu’il ne se consomme pas. Découvrir sa saveur suppose de faire preuve de persévérance, de discipline, de vigilance, de développer la conscience du moment présent, et de connaître la loi de cause à effet. Ce n’est qu’ainsi que, peu à peu, cet état de sérénité et de paix intérieure que l’on nomme bonheur devient stable. Nous sommes responsables du monde dans lequel nous vivons.
Le titre de votre livre : Bouddha rebelle est provocant. Sommes-nous tous des bouddhas rebelles en puissance ?
Oui. Le Bouddha nous a enseigné il y a plus de 2 500 ans à remettre en question nos croyances. Cette forme de révolution intérieure, dirigée contre nos pensées et nos émotions, est destinée à nous permettre de découvrir qui nous sommes vraiment. Ce qui implique de prendre le risque de mieux se connaître, de laisser tomber les masques sociaux qui nous déterminent et nous spécifient. Le message essentiel du Bouddha rebelle est pour moi : comment devenir un être humain libre et responsable ? Cette exploration de la réalité, vers la liberté, est passionnante et amusante. C’est un voyage plein de surprises. Quand on avance, une sensation d’espace, de joie tranquille et d’ouverture grandit et s’épanouit en nous. Ce cheminement reste sans aucun doute l’une des dernières grandes aventures de notre époque.
Propos recueillis par Catherine Barry. Article original : Le Point